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« ARRÊTEZ DE JOUER AVEC LA VIE, LA LIBERTÉ ET LES BIENS DES CHIAPANÈQUES. »
Extrait du communiqué du CCRI-CG de l’EZLN, le 19 septembre 2021.


Autoféfenses du peuple El Machete. Photo: José Santiz

22 septembre. Vienne. La situation de violence au Chiapas se poursuit et l’EZLN lance l’alerte aujourd’hui sur un état « au bord de la guerre civile ». Pour comprendre ce qu’il se passe, il faut observer sous différents angles l’origine et la systématisation des violences. Ce texte, non exhaustif, tente de donner une vision d’ensemble aux processus en cours dans l’État du Sud-est mexicain, en mettant en évidence quelques thèmes et conflits.

Vendredi 17 septembre 2021, à Vienne, en Autriche, environ 20 femmes et 30 hommes zapatistes de la délégation aérienne, « La Extemporánea », récemment arrivée dans cette ville, sont venus renforcer le contingent rassemblé devant l’ambassade du Mexique.


Concentration face â l’ambassade du Mexique, à Vienne, 17 septembre.

Cet acte de protestation a inauguré une grande campagne pour dénoncer le paramilitarisme et la violence au Chiapas et exiger l’apparition en vie de José Antonio Sánchez Juárez et Sebastián Núñez Pérez, zapatistes, membres du Conseil de bon gouvernement (JBG) « Nuevo Amanecer en Resistencia y Rebeldía por la Vida y la Humanidad » [« Aube nouvelle en résistance et en rébellion pour la vie et l’humanité », ndt], du Caracol 10, « Floreciendo la Semilla Rebelde » [« Quand fleurit la graine rebelle »], situé près de Patria Nueva, non loin d’Ocosingo, au Chiapas.

Les deux compañeros avaient été séquestrés le 11 septembre par des membres de l’Organisation régionale des caféiculteurs d’Ocosingo (ORCAO) – laquelle a une longue histoire de violence paramilitaire et d’impunité dans la région – alors que la délégation zapatiste aéroportée commençait son voyage. Selon le communiqué du Comité clandestin révolutionnaire indigène-Commandement général (CCRI-CG) de l’EZLN, ils ont été libérés le 19 septembre, grâce à l’intervention des prêtres de San Cristóbal de Las Casas et d’Oxchuc, appartenant au Diocèse de San Cristóbal.

Face au bâtiment de la diplomatie mexicaine à Vienne, la solidarité internationale s’est manifestée par la présence de dizaines d’activistes de toute l’Europe qui ont dénoncé grâce à leurs microphones, banderoles et pancartes, l’implication du gouvernement du Mexique dans la réactivation des violences contre-insurrectionnelles. Les prises de paroles en espagnol, allemand, grec, français, portugais et galicien, ainsi que le récent communiqué signé par de nombreuses organisations, collectifs et individus d’Europe tiennent pour responsables tant le gouvernement fédéral d’Andrés Manuel López Obrador (AMLO) que le gouvernement de l’État du Chiapas de Rutilio Escandón Cadenas, en raison de leur complicité avec les attaques paramilitaires perpétrées non seulement contre des paysans mayas zapatistes mais aussi contre des compañeras et compañeros défenseur.ses de droits humains et contre des communautés du Chiapas.

Comme le relate la dénonciation du Réseau AJMAQ, signée par de nombreuses organisations sociales et des collectifs du monde entier, en ce mois de septembre, le paramilitarisme du Chiapas intensifie ses actions délinquantes.

« Cette escalade de la violence orchestrée depuis les hauts lieux de pouvoir du gouvernement a pour contexte la « Traversée pour la vie – Chapitre Europe » de l’EZLN, une initiative d’organisation qui cherche à étendre, de manière pacifique et créative, la graine de la résistance et de la rébellion pour l’humanité et la Terre Mère, c’est-à-dire pour la Vie. »

Rappelons que la première délégation zapatiste, l’Escadron 421, est partie du Mexique vers l’Europe en bateau le 2 mai. Le 14 septembre, c’est l’Extemporánea, délégation aérienne de l’EZLN, qui est arrivée sur les terres de Slumil K’ajxemk’op/Terre Rebelle (auparavant Europe) et qu’elle a été rejointe le 22 septembre par une délégation du Congrès national indigène (CNI) et du Front des peuples en défense de la terre et de l’eau-Morelos, Puebla, Tlaxcala (FPDTA-MPT) dans le but d’écouter et de dialoguer avec les luttes d’en bas, à gauche. Depuis le 1er janvier 2021, l’EZLN a rendu publique sa Déclaration pour la vie, signée par des centaines de collectifs de l’autre Europe.

« Nous sommes là et nous y resterons jusqu’à la présentation en vie des compañeros. Ce Voyage a déjà commencé et personne ne l’arrêtera », a dit au micro, en allemand et en espagnol, une compañera activiste devant le bâtiment de la diplomatie mexicaine.

Qui est le groupe paramilitaire que dénonce l’EZLN ?

Radio Zapatista, dans « La longue histoire de violence paramilitaire et d’impunité de l’ORCAO », rappelle que l’Organisation régionale des caféiculteurs d’Ocosingo, dénoncée de manière répétée par les Conseils de bon gouvernement comme étant une organisation paramilitaire, agresse les communautés zapatistes depuis plus de 20 ans avec une violence croissante et en totale impunité.

L’ORCAO a été fondée en 1988 par douze communautés de la municipalité d’Ocosingo, au Chiapas. C’était une organisation de lutte légitime qui revendiquait de meilleurs prix pour le café et une solution aux conditions rudimentaires de l’agriculture. En peu de temps, de nombreuses communautés l’ont rejointe. Pendant des années, l’ORCAO a entretenu des liens avec le zapatisme. Pourtant, ces derniers ont été rompus quand, à la fin des années 90, l’organisation, comme tant d’autres, a cédé à la tentation de négocier des aides gouvernementales et des postes publics en échange de faveurs. La rupture s’est aggravée avec l’arrivée de Pablo Salazar au poste de gouverneur du Chiapas en 2000. L’ORCAO a alors abandonné la lutte et s’est alliée avec le gouvernement, rompant les liens avec l’EZLN pour avoir accès à l’argent public. À partir de ce moment, les agressions contre l’EZLN sont devenues de plus en plus fréquentes et violentes.

Entre 2020 et 2021, les agressions envers les bases d’appui zapatistes, leurs centres d’autonomie et envers celles et ceux qui soutiennent l’EZLN se sont multipliées :

En novembre 2020, le Conseil de bon gouvernement de Patria Nueva dénonçait que l’ORCAO avait reçu des aides du gouvernement pour construire une école mais les avait utilisées pour acheter des armes de gros calibre, avec la probable complicité du gouvernement fédéral actuel. AMLO a nommé sa stratégie la “Quatrième Transformation” (4T), en faisant référence à l’Indépendance du Mexique (1810), aux Lois de Réforme (1858-1861) et à la Révolution mexicaine (1910-1917), comme étant les trois antécédents de la transformation au Mexique.

Destruction d’entrepôt de maïs et de café à Cuxuljá

Quelle est la situation au Chiapas ? 

Si le Mexique est « l’arrière-cour » des États-Unis, le Chiapas est l’une de ses entrées. La déstabilisation volontaire de la zone, l’accroissement de la violence, l’impunité systématique, donnent tous les arguments nécessaires au gouvernement fédéral pour qu’il continue de militariser l’État et de développer la contre-insurrection, de contrôler la frontière sud et de garder la main sur les terres indispensables à l’implantation de méga-projets.

Depuis décembre 2000, le Chiapas est la cible d’un projet plus large, originellement connu comme le Plan Puebla-Panama. Aujourd’hui, le gouvernement d’AMLO et sa « Quatrième Transformation » ont lancé plusieurs projets prévus depuis lors : le transocéanique et le mal nommé Train Maya.

Cependant, dans son dernier communiqué « Le Chiapas au bord de la guerre civile », le CCRI-CG responsabilise Rutilio Escandón, gouverneur du Chiapas, et Victoria Cecilia Flores Pérez, secrétaire au gouvernement de l’État du Chiapas. Pour plus d’informations sur les alliances stratégiques et les jeux de pouvoir, vous pouvez consulter l’article de Luis Hernandez Navarro, « El infierno chiapaneco » [« L’enfer chiapanèque »].

Pourquoi les zapatistes accusent-ils les trois niveaux de gouvernement ?

Une des stratégies du gouvernement de la 4T, au Chiapas,  comme partout au Mexique, est de recourir à des programmes sociaux qui finissent par diviser et déstabiliser la communauté. « Diviser pour mieux régner » a été , et sera toujours, une stratégie efficace du gouvernement pour en finir avec l’organisation et la communauté.

« Sembrando Vida » (« Semer la vie ») est le nom ironiquement donné par le gouvernement à l’un de ces programmes fédéraux d’assistanat. Il propose aux paysans du pays de recevoir de l’argent pour travailler leurs terres et pour cultiver en monoculture du maïs, des mangues, de la palme africaine, entre autres, en vue de les exporter à l’étranger ou vers les grandes villes du territoire mexicain. Pour pouvoir entrer dans ce programme d’État, il faut justifier de la propriété individuelle de sa terre, qui doit avoir une surface supérieure à 2,5 hectares. Le fond du problème est là. Dans un pays où les terres des ejidos, c’est-à-dire les terres communales, sont encore collectivisées, et communément utilisées pour les cultures, cela génère des divisions au sein du tissu social.

Sur les terres récupérées des zapatistes, les Conseils de bon gouvernement sont d’accord pour prêter des terres pour un travail collectif, mais pas pour des intérêts individuels manipulés par l’État mexicain. C’est alors qu’arrivent le désaccord, la division et le harcèlement par des groupes paramilitaires (armés et financés dans le passé et actuellement par les gouvernements fédéraux, régionaux et municipaux) envers les communautés zapatistes, les peuples originels et quiconque serait en travers de leurs plans de contrôle et d’exploitation.

Dans les Altos de Chiapas, région composée de dix-sept municipalités de population indigène en majorité tseltale et tsotsile, il existe plus d’un conflit entre les villages, que le gouvernement a alimenté et justifié en les faisant passer pour des querelles territoriales.

Quelle est la situation dans les villages des Altos de Chiapas ?

Aldama

De nombreux liens familiaux, culturels, économiques et spirituels se sont tissés entre Santa Magdalena (Aldama) et Santa Martha (Chenalhó). Dans les principales fêtes des communautés, dans la tradition des villages indigènes des Altos de Chiapas, c’est une habitude d’accompagner le saint ou la sainte du village voisin ; dans ce cas, San Andrés Larráinzar, Santa Martha (Chenalhó) et Santa María Magdalena (Aldama) les célèbrent ensemble de part leur proximité et leurs échanges culturels.

Celles et ceux qui font aujourd’hui partie de l’organisation des 115 Comuneros déplacés d’Aldama, qui ont hérité de leur mère et de leur père le soin, le travail et la protection de leurs terres et de leurs familles, écoutaient leurs grand-pères raconter comment ils avaient connu leurs grand-mères à Santa Martha, ou vice versa.

Entre 1975 et 2000, les gouvernements en place ont réalisé une importante restructuration du secteur agraire à partir de réformes institutionnelles et politiques ; l’article 27 de la Constitution a été modifié avec l’idée supposée d’améliorer les conditions des paysans, les prix de leurs produits sur le marché, etc. Le conflit « territorial » entre Aldama et Chenalhó date de la réforme agraire dans les années 70, quand le gouvernement a cédé 60 hectares de terres des propriétaires ancestraux d’Aldama à Santa Martha (Chenalhó). Des accords ont été passés au fil des ans pour définir la propriété, sans résultats. Avec les années, cela a occasionné la destruction des arbres fruitiers sur ces terres, l’expulsion des familles et la destruction par le feu de leurs maisons, en plus de constantes attaques.

« A présent, c’est non seulement avec des paroles mais aussi avec des balles, avec des munitions, que les paramilitaires de Santa Martha veulent nous arracher la vie en tant que peuple d’Aldama. Comme preuve, il y a la vidéo que les paramilitaires ont publiée sur les réseaux sociaux » (extrait d’un communiqué des autorités de Xuxche’n, communauté d’Aldama, destiné à la communauté nationale et internationale).

Blessées par balles à Aldama. Photo : Isaac Guzmán

Ce discours se répète parmi les habitants des deux communautés, mais l’ennemi reste invisible aux yeux de l’État. Pendant une conférence matinale, le président du Mexique a décrit le conflit comme un différend de pauvres contre des pauvres et les a appelés à se calmer.

À partir de 2017, le conflit territorial est devenu une guerre au compte-gouttes avec un ennemi que tout le monde voit de loin mais dont on ne sait pas qui ou quoi il a en ligne de mire ; des groupes de personnes armées, vêtues de noir et avec une probable formation d’entraînement paramilitaire, ont commencé à tirer sur les deux communautés. Aujourd’hui, ces groupes ont assassiné au moins vingt habitants de Santa Martha et d’Aldama, et blessé un nombre toujours croissant de personnes.

Dans les deux cas, les femmes et les hommes qui habitent ce territoire exigent du gouvernement qu’il fasse quelque chose pour arrêter ces attaques via les médias locaux, nationaux et internationaux, en diffusant l’attaque constante dont ils et elles sont les victimes quotidiennes, et en gardant le contact avec des organisations de défense des droits humains. Alors que la peur grandit, les récoltes se perdent du fait de ne pas pouvoir aller travailler les champs de maïs, de haricots, de courges ou de café ; sortir travailler est de plus en plus dangereux, et la nourriture vient à manquer. Mais même ainsi, les aides sociales en matériel de construction ou agricole, ainsi que les t-shirts colorés des partis politiques en campagne, continuent d’arriver entre les balles et le sang.

Il y a quelques jours à peine, le 15 septembre, Domingo Sántiz Jiménez, du village de Xuxch’en, a été assassiné par des membres d’un groupe armé de type paramilitaire, provenant de Santa Martha, avec une arme de gros calibre. Lui et sa familles étaient en train de rentrer dans leur village en camionnette. Il ont dû s’arrêter pour attendre que les coups de feu cessent. Domingo, 33 ans, a reçu une balle dans le visage.

En février 2019, le Conseil de bon gouvernement d’Oventik s’était prononcé sur ces attaques incessantes.

Pantelhó

« Notre lutte n’est pas une lutte politique, c’est une lutte pour la vie, parce que les narcotrafiquants ont déjà tués plus de 200 d’entre nous et que les autorités les ont protégés ». Témoignage d’un des habitants de Pantelhó pendant la présentation des « Auto-défenses du Peuple El Machete ».

Présentation des autodéfenses El Machete. Photo : José Santiz

Plus de trois mille cinq cents personnes issues de quatre-vingt-six communautés, se sont réunies à San José Buenavista Tercero, une des communautés du territoire de Pantelhó, le 18 juillet dernier, pour annoncer publiquement la naissance des « Autodéfenses du peuple El Machete ». Étant arrivées au point de saturation face au harcèlement qu’elles subissent des mains des groupes armés protégés par les autorités municipales, elles expliquent, dans leur communiqué, la nécessité de prendre les armes. Avant de se soulever en armes et de se présenter au peuple mexicain, les habitants de la municipalité avaient dénoncé les agressions qu’ils subissaient et avaient sollicité de l’État, à plusieurs reprises, qu’il agisse pour arrêter ces groupes. Ne voyant aucune action concrète, et suite à l’assassinat de Simon Pedro Pérez, membre des Abejas de Acteal et habitant de la région de Pantelhó, ils ont décidé, sur la base d’un accord, de prendre la justice en main et de gouverner leur village selon les us et coutumes des peuples originels.

Suite à de la décision de prendre la présidence municipale, le village de Pantelhó a été témoin d’affrontements armés entre l’Armée mexicaine, la Garde nationale, la Police municipale, des groupes armés et les habitants. Pendant un temps, les scènes de maisons incendiées, d’autos détruites et d’impacts d’éclats de métal provenant de bombes de type molotov sur les murs des maisons du chef-lieu municipal se sont multipliées. Sur la route, on pouvait voir des centaines de douilles de gros calibre, des marques d’explosions de bombes et des dizaines de militaires armés de mitraillettes qui chargeaient des kilos de munitions sur leurs épaules, en plus d’un hélicoptère militaire survolant la zone.

Affrontements armés dans les rues de Pantelhó. Photo : José Santiz


Soldats de l’Armée fédérale à Pantelhó. Photo : Isaac Guzmán

Après avoir rétabli l’ordre, les habitant.es ont lancé un appel au dialogue avec le gouvernement de l’État du Chiapas pour exiger la reconnaissance de leur droit à se gouverner selon leurs us et coutumes. Au chef-lieu municipal de Pantelhó, désormais gouverné par le peuple, s’est mené à terme le dialogue entre l’État et la voix de milliers d’habitants de la région n’en pouvant plus de la violence.

Aujourd’hui, Pantelhó est gouverné selon les us et coutumes, mais même si la violence a baissé de niveau depuis lors, le harcèlement continue : il y a peu, le 18 septembre 2021, un homme a été remis aux autorités après que des habitants ont remarqué qu’il portait une arme et qu’il avait une bombe sur lui.

Résumé officiel du fonctionnement de la loi des Us et Coutumes des peuples originels du Mexique.

Huixtán

Autre fait violent : le 13 juillet de cette année, une groupe d’une trentaine d’hommes vêtus de noirs, cagoulés et fortement armés, sont entrés dans la mairie de la municipalité indigène de Huixtán, et ont enlevé trois travailleurs de la municipalité, et se sont emparés de trois véhicules de la mairie pour obliger le président municipal à effectuer le pavement des rues de la dite communauté.

Oxchuc

Le 8 juillet, Eduardo Santiz Gómez, 21 ans, fils du président municipal d’Oxchuc a été kidnappé par des hommes armés aux alentours de la municipalité et a été libéré 25 jours plus tard.

Altamirano

Dans la nuit du 15 septembre, le palais municipal d’Altamirano a été incendié. Dans cette municipalité, il a été dénoncé que le président municipal et son épouse en sont à leur quatrième mandat, en comptant celui qui commencera le 1er octobre, en gouvernant au nom du Parti vert écologiste.

Quelle est l’autre conséquence de ces conflits ?

Tous ces conflits, marqués par la violence et l’impunité, ont provoqué le déplacement forcé ponctuel, intermittent ou permanent de milliers de personnes dans l’État du Chiapas. Les familles, contraintes d’abandonner leur foyer, ne peuvent souvent plus accéder à leurs terres, perdant ainsi leurs récoltes, et se trouvant dans l’impossibilité de faire leurs semis pour l’année suivante. En plus de la violence systémique et de la discrimination perpétuelle, les déplacé.es doivent affronter le froid, la faim, les maladies et la mort. Hommes, femmes, enfants et personnes âgées vivent dans la peur et sans voir d’issue aux conflits ni un possible rapide retour dans leur foyer, ce qui provoque désespoir, dommages psychologiques et émotionnels, ainsi que la détérioration du tissu social communautaire.

Fuite massive d’habitantes de Pantelhó le 8 juillet 2021, après la première tentative de prise du palais municipal. Photo : Isaac Guzmán

Entre 1994 et juin 2020, le Chiapas comptait trente-sept déplacements forcés, soit plus de cent quinze mille personnes déplacées, le conflit armé et les violation des droits humains en étant la cause principale.

Le 8 juillet dernier, trois mille deux cent cinq personnes, en majorité des enfants et des adolescents, se sont enfuies de Pantelhó et de quelques hameaux de Chenalhó, formant ainsi le déplacement massif le plus important en terme de nombre de personnes depuis octobre 2017, quand plus de cinq mille personnes avaient été obligées de fuir plusieurs communautés de Chalchihuitán et de Chenalhó.

Chalchihuitán, Chenalhó et Aldama sont les municipalités desquels le plus grand nombre de personnes se sont déplacées de force au Chiapas.

Et la migration ?

Depuis le 28 août, on a recensé quatre caravanes de femmes, d’hommes et d’enfants de Cuba, du Nicaragua, du Guatemala, du Honduras, du Venezuela, du Sénégal et d’Haïti. La réponse de l’État, via l’Institut national de migration (INM) a été de réaliser des opérations de détention d’une excessive violence et avec un usage disproportionné de la force pour freiner les personnes qui cherchent à quitter le Chiapas à cause du retard dans la résolution de leurs démarches de régularisation migratoire et d’asile.

Dans leur communiqué, publié le 4 septembre 2021, « Contre la xénophobie et le racisme, la lutte pour la vie », les Conseils de bon gouvernement zapatistes, le CCRI-CG de l’EZLN et les communautés indigènes zapatistes déclarent :

Même parmi les membres de la dénommée Garde nationale, il y a du mécontentement. En effet on leur avait dit que leur mission serait de lutter contre le crime organisé, et maintenant on les utilise comme des chiens de chasse à la poursuite de personnes à la peau basanée. Parce que c’est la consigne : traquer toute personne qui a la peau basanée : « Arrêtez tous les putains de noirs que vous croisez », c’est ça l’ordre. C’est toute une déclaration de politique extérieure.

Les conditions ont empiré avec la pandémie du COVID-19. La fermeture des frontières, des auberges pour personnes migrantes, des bureaux de la Commission mexicaine d’aide aux réfugiés (COMAR), la perte d’emplois et la récession économique, ainsi qu’une plus grande difficulté à accéder à une attention médicale, ont détérioré encore plus la qualité de vie des migrant.es qui vivent au Mexique ou transitent par le pays.

Quelle est la situation sanitaire au Chiapas ?

Depuis le début de la pandémie, aucune stratégie d’attention destinée aux populations rurales et indigènes et encore moins aux communautés difficiles d’accès du sud-est mexicain n’a été élaborée. Les campagnes de prévention et d’information sur la pandémie étaient confuses. Par exemple, dans les petites cliniques de santé des communautés, on pouvait voir des pancartes réalisées par le Ministère de la santé portant l’explication suivante : « Quelles sont les personnes qui peuvent attraper le Covid-19 ? Les personnes qui ont voyagé en Chine ou qui ont été en contact avec quelqu’un provenant de Chine. » La situation de la vaccination contre le Covid-19 est similaire, si bien que par manque d’accès à l’information, par manque de confiance et parce que leur culture et leurs connaissances sont bien différentes de celles du système de santé occidental, beaucoup de gens ne se tournent pas vers l’application de l’antidote à présent imposé par le système capitaliste. Les chiffres de contagion et de décès ont été et sont contrôlés par un gouvernement hermétique, raison pour laquelle il est difficile d’obtenir des données concluantes ; les registres des décès dans les petites communautés n’ont jamais fait partie des registres du Ministère de la santé de l’État du Chiapas et encore moins du décompte des décès fait par le gouvernement fédéral. Aujourd’hui, les vaccins arrivent de manière délibérément lente vers les villages, bien que la publicité officielle de l’Institut mexicain de sécurité sociale (IMSS) s’applique à démontrer le travail de distribution et d’implication de son actuel directeur Zoe Robledo, probable candidat à la gouvernance de l’État chiapanèque. Dans un contexte où la santé communautaire est gérée différemment de celle des villes et où la population est exaspérée par les mensonges de la classe dirigeante, la méfiance envers le système est en train de provoquer des morts.

En réponse à cela, les communautés se sont mises d’accord sur la manière d’affronter cette maladie. Par exemple : les caracoles zapatistes ont été parmi les premiers, tant au niveau local qu’au niveau national, à alerter sur la gravité de la situation mondiale ; se basant sur des études scientifiques, ils ont pris des mesures pertinentes (campagnes d’information interne, mesures sanitaires, fermeture des caracoles) qui restent en vigueur jusqu’à aujourd’hui.

Dans les dernières semaines, une augmentation des cas de contagion dans plusieurs communautés a été enregistrée, parfois de façon même plus élevée qu’à la même période de l’année passée. À Aldama, par exemple, qui se déclarait sans présence de la maladie depuis des mois, une grande augmentation a été identifiée dans les dernières semaines.

Qu’exige-t-on depuis le Chiapas et à l’extérieur ?

La situation au Chiapas est complexe et en aucun cas uniforme. Pourtant la violence est généralisée dans l’État tout entier et elle s’est intensifiée au cours des derniers mois quand a commencé la campagne électorale début avril 2021.

Depuis 1994, l’EZLN a lutté pour la paix et la justice. Aujourd’hui, ses exigences restent les mêmes. Il est temps d’exiger, tant depuis le Mexique que depuis l’extérieur, la fin de la guerre au Chiapas. Il s’agit de se manifester non seulement pour crier stop aux attaques contre le territoire zapatiste, mais aussi pour le droit de tout un peuple à vivre en paix.

L’EZLN a appelé l’Europe Rebelle, Slumil K’ajxemk’op, et les réseaux de la Sexta nationale et internationale à « manifester devant les ambassades et consulats, et dans les sièges du gouvernement de l’État du Chiapas », le vendredi 24 septembre, en exigeant la fin des provocations et l’abandon du « culte de la mort » que professent aussi bien les gouvernements que les groupes paramilitaires et criminels.